On retrouve une mine d’information en ce qui concerne les fêtes Chrétiennes, nous en donnons l’origine que l’on retrouve chez beaucoup de théologiens, historiens, chercheurs…
L’ÉPIPHANIE. DES MAGES
Au 6 janvier, l’Occident célèbre l’adoration des trois rois mages. Par commodité, la fête des Rois a été déplacée récemment au premier dimanche de janvier. La date de la fête et surtout les détails de l’histoire de Gaspard, Balthasar et Melchior est le fruit d’une lente évolution et d’une fascination pour le récit de Matthieu.
Il est le seul évangéliste à évoquer leur existence. Comme l’épisode biblique est très succinct, les chrétiens, surtout en Occident, ont brodé.
Les mages prirent une telle importance qu’on se mit à ne fêter plus qu’eux au 6 janvier. L’Epiphanie, qui en grec signifie la « manifestation » (de la divinité du Christ) était à l’origine le jour où des hérétiques égyptiens célébraient le baptême du Sauveur. Dès le 4ème siècle, les chrétiens d’Orient fêtaient le 6 janvier la Nativité, l’adoration des mages et des bergers, ainsi que le premier miracle du Christ aux noces de Cana. Quand Rome parvint à imposer à la majeure partie du monde chrétien la date du 25 décembre pour Noël. En Occident, l’Epiphanie devint surtout la fête des mages.
Au cours des siècles, les mages devinrent rois, devinrent trois, reçurent des noms, des âges, des origines, des visages et même des corps.
Le passage de l’Evangile inspira en effet rapidement les penseurs chrétiens. Au 2ème siècle, Tertullien précise que les mages étaient rois. Il peut ainsi faire correspondre les prédictions de l’Ancien Testament aux récits de la vie de Jésus et plus précisément celle du Psaume 72 qui annonce: « Les rois de Tarsis et des Iles enverront des présents; les rois de Saba et de Séva payeront le tribut. Tous les rois se prosterneront devant lui, toutes les nations le serviront ».
Peu après, Origène signale que les mages étaient trois. Il est probable qu’il s’agit d’une déduction tirée du nombre de cadeaux qu’ils ont apporté au Sauveur: l’or, la myrrhe et l’encens. Les chrétiens de Syrie et d’Arménie en nommeront toutefois jusqu’à douze. Un texte, peut-être d’origine irlandaise, de la fin du 8ème siècle attribué à tort à l’historien Bède le Vénérable vient préciser quelques nouveaux points.
Ainsi, ce document fournit les noms des trois rois mages. Ils ont une consonance perse: Gaspar, Melchior et Balthasar. L’auteur inconnu précise l’âge de chacun. Melchior est un vieillard, Gaspard, un homme d’âge mûr et Balthasar un adolescent.
Ces âges ne doivent rien au hasard. Ils s’inspirent d’une série de sermons du pape saint Léon le Grand. Ce dernier, au 5ème siècle, fit des mages le symbole de l’universalité du christianisme: Dès la naissance du Sauveur, ce ne sont pas seulement les juifs qui ont reconnu la divinité du Christ, en la personne des bergers, mais aussi les non-juifs, les mages venus d’Orient.
En attribuant aux mages les trois âges de la vie, l’auteur anonyme du 8ème siècle donne plus de poids encore au message universel défendu par Léon le Grand: non seulement les représentants de toutes les nations se sont agenouillés devant le divin enfant, mais aussi ceux de tous les âges.
Au 9ème siècle, on voulut développer cette symbolique au risque de contredire les Pères de l’Eglise qui supposaient avec vraisemblance que les mages venaient de Perse ou de Babylonie. On se mit à estimer qu’ils étaient venus des trois régions du monde connu: l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Ce n’est toutefois qu’au 15ème siècle que Melchior fut représenté comme noir. L’imagerie des rois mages, tels qu’on peut les admirer dans les crèches ne devait plus guère évoluer.
Restait toutefois à leur trouver un corps. Ce fut fait dans une vieille chapelle de Milan en 1158. Mais peu de temps après Frédéric Barberousse s’empara de la ville et fit transporter les trois corps à Cologne. Selon le récit d’un contemporain, les corps était fort bien conservés. Et l’on devinait que l’un était adolescent, le deuxième d’âge mûr et le troisième âgé. Bref ils étaient dans le même état qu’à l’époque où ils s’étaient prosternés devant le Christ.
La fève des rois
Un fait paraît sûr: désigner un roi par tirage au sort n’a rien à voir avec la visite des Mages à Bethléem. Il s’agit très probablement d’une coutume antique, même si nous ignorons comment elle est parvenue jusqu’à nous.
Dans l’Antiquité, les Romains fêtaient pendant plusieurs jours la Fête des fous. Elle commençait le 16 décembre et s’appelait les Saturnales. A l’époque mythique de l’âge d’or, sous le règne du dieu Saturne, il n’existait pas de différences sociales. Pour rappeler cette ère bénie, les esclaves et les maîtres, les riches et les pauvres vivaient à Rome pendant trois jours sur pied d’égalité. Dans les maisons, on tirait alors au sort un roi des Saturnales qui dirigeait les banquets et assurait notamment la distribution équitable du vin. D’après les sources, le tirage au sort se faisait avec des dés.
Il n’en reste pas moins que les fèves président au hasard depuis la nuit des temps: à Athènes, certaines magistratures étaient attribuées par le sort. On plaçait des fèves dont l’une était teinte dans un récipient. Celui qui avait la chance de piocher la bonne fève obtenait le poste pour une année. Cette coutume est attestée à Marseille sous l’Ancien Régime.
Entre l’Antiquité et le 14ème siècle, l’usage de désigner un roi du festin n’est plus attesté. A la fin du Moyen-Age apparaissent dans plusieurs villes françaises des rois désignés par le sort, d’abord pour le jour du premier janvier, puis à l’Epiphanie. Ils étaient nommés de différentes façon selon les régions: grâce à des fèves, des haricots ou des billets de loterie.
Même si aucune source ne permet de démontrer le lien entre la fête romaine et le tirage au sort d’un roi à l’époque moderne, des historiens estiment que cette coutume constitue une survivance de l’Antiquité païenne, liée aux coutumes pratiquée à la période du solstice d’hiver, époque où l’on refaisait les comptes avant une nouvelle année et où la hiérarchie traditionnelle était symboliquement remise en cause.
L’origine de la galette des Rois est plus obscure encore. La première attestation remonte à 1311 à Amiens. Il n’est pas assuré que la galette contient déjà une fève. Ce gâteau apparaît ensuite dans diverses régions française. A l’époque de la Révolution, les galettes avec des fèves a gagné toute la France. Les révolutionnaires ne parviennent pas à interdire cette coutume qu’ils croient chrétienne; ils tentent de détourner le rite en appelant les galettes des Rois les gâteaux de la Liberté. Une manière d’éviter également le nom honni de « rois ».
Et pourtant, les hommes d’Eglise étaient loin de croire que la galette des rois constituait un rite chrétien. Au 17ème siècle, un docteur de la Sorbonne et doyen de la cathédrale de Senlis, l’abbé Deslyons tonnait du haut de sa chaire pour condamner « les abominables restes du paganisme et continuations des saturnales ». En vain. Car les rites ont la vie dure, même quand ceux qui les observent en ont oublié jusqu’à la signification.
PÂQUES: UNE DATE CONTESTÉE
Dès les débuts du christianisme, l’événement central de la nouvelle religion fut incontestablement la Passion et la Résurrection de Jésus Christ. Mais quand fêter le retour du Christ parmi les vivants? Il semble que très vite, les chrétiens célébraient la résurrection chaque dimanche, mais ils la célébrèrent avec une solennité particulière chaque année.
La première évocation de Pâques remonte à l’an 150, même si la fête est bien plus ancienne, probablement d’origine apostolique. Cette mention apparaît à l’occasion d’une des toutes premières querelles au sein de l’Eglise. En 154, Polycarpe, évêque de Smyrne en Turquie actuelle se rend à Rome pour discuter avec le pape Anicet. Les chrétiens de Turquie et de Syrie ne célèbrent pas Pâques le même jour que les autres.
Trois datations s’offraient aux premiers chrétiens. Selon le Nouveau Testament, c’est pendant la semaine de la fête juive de Pâque du mois de Nissan, que le Christ est crucifié: selon les évangiles synoptiques, la Passion se déroule le 15 du mois judaïque de Nissan, tandis que Jean la place le 14 du même mois. Une chose est sûre: le Christ ressuscite le dimanche qui suit la Pâque. Cette fête, fixée au 14 Nissan, commémore le départ d’Egypte et la délivrance de l’esclavage.
Pour des raisons symboliques, les savants chrétiens, dès le début du 3ème siècle, estimèrent que la Passion ou la Résurrection eut lieu le jour même de l’équinoxe de printemps, qui tombait à cette époque le 25 mars. L’équinoxe est, selon une antique tradition rabbinique, la date de la Création, parce dans la Genèse, il est spécifié que Dieu créa le jour et la nuit de longueur égale. Toutefois seules quelques rares membres d’une secte chrétienne fêtèrent Pâques chaque 25 mars.
La querelle porta bien plutôt sur la simultanéité entre la Pâque juive et Pâques chrétienne: fallait-il conserver le jour de la Pâque juive pour briser le jeûne, malgré les grosses différences entre le calendrier lunaire hébreux et solaire romain? Ne valait-il mieux pas fêter Pâques un dimanche puisque le Christ, crucifié le jour de la Pâque juive était ressuscité le dimanche suivant?
La Pâque juive tombe théoriquement à la première pleine lune du premier mois lunaire de l’année juive. Ce mois de Nissan coïncidait plus ou moins avec l’équinoxe de printemps. Les chrétiens de Turquie et Syrie, dont les communautés étaient fort influencées par le judaïsme, optèrent donc pour la date juive, le 14 du mois de Nissan quitte à mettre l’accent sur la Passion et moins sur la Résurrection. Les autres choisirent le dimanche qui suivait.
Lors de la rencontre de 154, le pape et l’évêque de Smyrne décidèrent de rester en communion, tout en fêtant Pâques à une date différente. Mais vers 190, l’ambiance se détériora: plusieurs synodes se prononcèrent en faveur de la pratique dominicale; les Asiates refusèrent de s’y conformer. Ils furent excommuniés. En 325 de notre ère, le concile de Nicée trancha pour la pratique dominicale et presque tout le monde s’y conforma. Mais les controverses ne furent pas terminées pour autant. Et pourtant on était tombé d’accord sur le principe: il fallait fêter Pâques le premier dimanche suivant la pleine lune après l’équinoxe de printemps.
En matière astronomique, l’Eglise chrétienne d’Alexandrie en Egypte avait une longueur d’avance. Elle fut la première à se distancer du calendrier juif pour fixer le dimanche de Pâques, car en raison d’un certain flottement dans le rajout de mois intercalaires, le mois de Nissan ne tombait pas toujours pendant l’équinoxe. Ce fut donc à elle que fut confié le soin de calculer la date de Pâques. Toutefois, Rome continuait à faire ses propre calculs qui ne correspondaient pas systématiquement à ceux des Alexandrins. Il arriva plusieurs fois que la chrétienté fut divisée. Il fallut donc attendre que le savant Denys le Petit proposa en 525 la pratique d’Alexandrie à Rome. Les chrétiens se mirent progressivement à fêter Pâques le même jour. La fête tombait ainsi entre le 22 mars et le 27 avril.
Toutefois, il existait une exception, les Irlandais avaient été évangélisés avant cette uniformisation. Quand il revinrent au 7ème siècle sur le continent pour y importer leur rude monachisme, ils ne fêtaient pas Pâques en même temps que les autres. Après de longues discussions, ils se conformèrent à la pratique romaine. Cette querelle réglée, tous les chrétiens fêtèrent Pâques en même temps, jusqu’en 1582. Mais la réforme grégorienne ramena la division ancienne: les catholiques, puis les protestants calculèrent selon le nouveau calendrier, mais les orthodoxes continuèrent à se conformer au calendrier julien. Et pour l’heure, les tentatives de compromis n’ont pas abouti.
Des œufs de lapin
Les historiens sont à l’affût de survivances de lointaines pratiques. Ils n’ont pas manqué de se pencher sur la coutume de teindre, de cacher ou d’offrir des œufs le jour de Pâques et, plus rarement, sur le lien étrange entre lapins et œufs de Pâques.
L’œuf, symbole de naissance, pourrait évoquer une cérémonie fécondatrice du printemps, d’origine préhistorique.
L’origine de l’œuf de Pâques est probablement plus prosaïque. La coutume d’en offrir apparaît vers le 12ème siècle. Et il faut l’associer aux interdits du Carême: on ne mangeait pas d’œufs pendant 40 jours précédant Pâques, mais les poules continuaient à pondre. Par conséquence, les particuliers se trouvaient en possession d’abondantes réserves après tant de jours d’abstinence. Et puis, on avait pris l’habitude d’offrir des cadeaux aux enfants aux grandes solennités, Noël, Nouvel An… d’où l’idée d’offrir des œufs. Une thèse que défend déjà Amédée de Ponthieu en 1866: « En raison du Carême, une grande quantité d’œufs se trouvant entassée dans les provisions du ménage, le moyen le plus expéditif de s’en débarrasser était de les donner aux enfants. On en fit même l’objet d’un cadeau amusant en les teignant ou en les entourant de figurines ou de devises ».
Quand le lapin de Pâques, ou plus précisément le lièvre de Pâques, apparaît dans les textes, l’œuf s’est depuis longtemps en usage.
C’est au 17ème siècle, qu’un savant médecin raconte que dans le sud-est de l’Allemagne, les œufs de Pâques sont appelés « œufs de lièvre »: « On fait croire aux personnes naïves et aux enfants que c’est le lièvre qui pond des œufs dans les buissons et ailleurs, afin qu’ils les recherchent au grand amusement des adultes ». Cette coutume est attestée d’abord en Allemagne, en Autriche et en Suisse.
Difficile d’établir comment cette croyance s’est établie. plus difficile encore d’en cerner la signification. Reste que, selon une ancienne tradition, le lièvre est homosexuel ou hermaphrodite. Cette curieuse légende est née de l’observation des cavités périnéales situées sous la queue de l’animal.
Que cache donc cet étrange lièvre mâle qui vient pondre des œuf à l’orée du printemps? L’historienne Marie-Helène Courtoisier, qui a étudié cette coutume, cherche une explication dans des usages très anciens. Elle y voit « d’anciens rituels connus dans le monde indo-européens liés à l’homosexualité initiatique ». Elle avance de nombreux exemples en Grèce antique où la chasse au lièvre est associée à l’amour entre jeunes hommes. Une interprétation qui se heurte à de sérieuses objections: il y a un gouffre temporel et spatial entre la Grèce antique et l’Allemagne du 17ème siècle que rien ne permet de combler. En outre, les Grecs ne mentionnent jamais d’œufs de lièvre et, même à mots couverts, l’homosexualité n’apparaît nullement dans la chasse aux œufs de Pâques. Peut-être a-t-on simplement associé les œufs traditionnels avec le lièvre arrivé plus tard sur la scène de Pâques. Le lièvre, réputé pour sa fécondité, allait bien avec l’œuf symbole de fertilité. Deux symboles qui conviennent à l’orée du printemps.
Le lièvre de Pâques apparaît aussi sans lien avec l’œuf. En Angleterre et en France, on chassait traditionnellement le lièvre au matin du jeudi saint ou de Pâques. Une légende raconte qu’Arthur, un seigneur français d’Ille-et-Vilaine, quitta l’église le jour de Pâques, peu avant la communion, pour poursuivre un lièvre. Arrivé à un précipice, le gibier continua sa course et le chasseur le suivit dans le vide. Le lièvre et le chasseur sont condamnés à courir dans le ciel jusqu’à la fin du monde
LE CYCLE PASCAL. UNE COURONNE POUR LA RESSURECTION
Carême, Rameaux, Vendredi saint, Ascension, Pentecôte. Une suite de célébrations chrétiennes entoure Pâques comme une couronne. Un cycle qui couvre un bon quart de l’année, puisque 103 jours séparent le Mercredi des Cendres à la Pentecôte. A cela, il faut ajouter le Carnaval qui précède le Carème et qui malgré ses relents de paganisme n’en pas moins associé à la date de Pâques. Toutes ces dates dépendent étroitement de la fête de la Résurrection. Que l’on soit en désaccord sur la date de Pâques et toutes ses fêtes sont décalées.
Elles s’imbriquent avec une logique imparable: l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, sa crucifixion, sa résurrection, son ascension, puis la descente de l’Esprit saint sur les disciples. Bref, les fêtes suivent pas à pas les récits bibliques. Et pourtant, il faudra huit siècles pour que le cycle pascal que nous connaissons se mette entièrement en place. Malgré sa cohérence, il se construit progressivement et connaît longtemps des variantes locales: ainsi pendant des siècles, les chrétiens d’Alexandrie et de Jérusalem fêtaient les Rameaux, inconnus ailleurs.
C’est en effet au 8ème siècle seulement que l’Occident commence à fêter le dimanche des Rameaux. Cette célébration est toutefois apparue au 3ème siècle de notre ère, d’abord à Alexandrie, pour marquer la fin de la préparation au baptême: six jours avant la Passion, le Christ entre triomphalement dans Jérusalem et le futur baptisé entame la dernière semaine avant la cérémonie du dimanche. En s’imposant dans le monde chrétien, ces fête est presque la dernière arrivée et boucle en quelque sorte le cycle. A cela viendra se greffer plus tard une fête mi-païenne, liée indiscutablement au cycle pascal, le Carème.
LE CARNAVAL. LA FÊTE AVANT LA FAIM
Le carnaval est la fête de l’adieu aux plaisirs sensuels, avant le carême. C’est la fête de la viande: Le mot vient de l’italien. La comparaison entre langues romanes montre que s’y cache le mot latin « carnis » (la viande); avant d’emprunter carnaval aux Italiens vers 1550, les Français disaient « carnage » ou « charnage » et les Espagnols « carnal » pour la période d’avant carême. Si nous faisons à reculons l’histoire du mot italien, nous trouvons avant « carnevale » les formes « carnelevale » et, encore avant, « carnelevare ». Le sens étymologique de carnaval, c’est « enlever la viande »; nous en sommes d’autant plus sûr que l’on disait aussi « carnelasciare », « délaisser la viande ».
Carnaval, à l’origine, c’est donc le moment où l’on se prépare à abandonner la viande pour jeûner, ce que rappelle l’allemand Fastnacht (« la nuit avant le jeûne »). La date est donc mobile, puisque étroitement liée à Pâques. C’est le septième dimanche avant Pâques, et les jours environnants.
Le carnaval est une date, avant d’être une fête: la plus ancienne mention retrouvée du mot est de 965, dans un document de l’abbaye de Subiaco, au sud de Rome. Il s’agit d’une redevance à verser à Noël, à Carnaval et à Pâques. On trouve des centaines de « carnavals » jusqu’en 1200, qui sont seulement des dates ou des prénoms: il y a beaucoup de petits Carnavals qui grandissent en Italie au 12ème siècle, sans qu’on sache pourquoi on leur avait donné ce prénom: nés à ce moment de l’année, nés gros, on peut tout imaginer…
De carnaval au sens moderne, il n’en est pas question, mais nous pouvons déduire des textes que ce jour est un jour de bombance. En effet, de nombreuses chartes fixent le jour de carnaval comme date de livraison pour des redevances en nourriture. Il s’agit souvent de viande, comme, parmi d’autres, ce texte italien de 1195, qui prévoit la livraison « à carnaval, d’une poule et de trois pizzas ». Qu’aurait-on fait de telles livraisons avant le carême, sinon les consommer tout de suite, c’est-à-dire faire la fête. Comme le dit un texte espagnol du 15ème siècle, « à la fin de carnaval, tous les coqs sont veufs! »
Il faut attendre le début du 13ème siècle pour être sûr qu’il se passe à Carnaval des événements carnavalesques. Sous le titre « jeu de carnaval », un manuscrit mentionne le rôle du pape dans le carnaval romain: « Le dimanche où l’on prend congé de la viande, des cavaliers et des hommes à pied font irruption après le repas et boivent entre eux. Ensuite, les hommes laissent leurs boucliers et vont au Testaccio; le préfet, avec les cavaliers, vont au Latran. Le pape descend alors de son palais et chevauche avec le préfet et les cavaliers jusqu’au Testaccio ».
C’est là qu’a lieu le carnaval proprement dit: « Ils tuent l’ours, c’est-à-dire que le diable, tentateur de notre chair; ils tuent les bœufs pour tuer l’arrogance que donne la jouissance; en tuant le coq, ils tuent le plaisir sensuel, afin que nous vivions chastement et sobrement dans une tension spirituelle, pour mériter de recevoir à Pâques la communion ». Il s’agit de renoncer aux plaisirs du corps, le temps du carême, et ce plaisir est aussi bien sexuel qu’alimentaire. Les autres éléments du carnaval sont là, les guerriers, les chevaux, une atmosphère de mise à mort, des animaux emblématiques comme l’ours, animal traditionnel de l’hiver, l’inversion des valeurs et des rapports, puisqu’on entraîne le pape dans le quartier le plus humble de Rome, presque en banlieue: « Comme la ville commence là, c’est là, en ce jour, que se termine le plaisir du corps ». On y trouve aussi la crainte d’une rixe entre participants: « Ils font le jeu sous les yeux du pape, pour éviter qu’une discorde n’éclate ». Le pape est en même temps bousculé et reconnu, comme toujours l’autorité durant le carnaval.
Ce premier texte est riche, mais les grands siècles du carnaval sont à venir, avec masques et représentations; ces fêtes joueront un grand rôle dans le développement de la littérature, notamment le théâtre en Allemagne et en Italie. Dès le 14ème siècle, en effet, le carnaval est, en Europe, une fête un peu inquiétante, mais fascinante, dont on se dispute l’organisation.
En 1349, l’empereur Charles IV octroie aux bouchers de Nuremberg le droit de monter le carnaval; ils en feront l’un des plus célèbres d’Europe, avec toute une mise en scène et des textes parodiques composés pour l’occasion. Le début du 16ème siècle marque certainement l’apogée des carnavals, avant les interdits des Réformés et l’hostilité de l’administration française; c’est à cette époque que des villes suisses comme Bâle en organisent sur le modèle de Nuremberg. Il ne faut pas nous étonner que le carnaval soit récent, même s’il a absorbé des éléments folkloriques anciens. Il a fallu longtemps pour que le jeûne avant Pâques prennent sa durée de 40 jours et surtout pour qu’il s’impose partout en Occident. Le jeûne de carême est codifié et diffusé par la liturgie romaine à partir du 8ème siècle; voilà peut-être pourquoi nos premiers exemples de carnaval, comme date, puis comme fête, viennent de Rome. Pour qu’il y ait carnaval, il ne suffit pas qu’il y ait carême; il faut aussi des villes assez peuplées et organisées pour mettre sur pied une dramaturgie complexe; de telles villes, il n’en existent vraiment qu’à partir des 12ème-13ème siècles. Le carnaval peut être aussi rural, mais il lui faut, pour se déployer, une population campagnarde regroupée en village; ces villageois doivent être soumis d’assez près à leur curé pour que le carême leur soit imposé. Ici également, c’est aux 12ème-13ème siècles que les choses deviennent possibles. Le carnaval est bien une fête de l’Europe moderne, celle des sept ou huit derniers siècles.
La mort de Carnaval
Dans de nombreuses villes, Carnaval apparaît comme un personnage que l’on juge et met à mort à la fin de la fête. A Mâcon, selon un jugement burlesque de 1609, on était plus clément: il « sera fouetté avec une peau de lapin parmi toutes les places de la ville et aussi devant les boutiques des rôtisseurs, des pâtissiers et des charcutiers. Puis il sera mis sur un petit bateau sur la rivière, ayant en écharpe un coq et un chapon pour montrer qu’il était toujours prêt à boire et à manger. Il sera mis en fuite, banni à son de trompette et partira un mercredi matin ». Carnaval est parfois remplacé par Carême-prenant ou par saint Pansart, Zampansar dans le Pays basque, où on le brûlait après un procès présidé par dame Carême. Sancho Pança, le petit compagnon obèse de don Quichotte, est certainement inspiré de ce « saint pansu ».
Les rites carnavalesques sont d’origine inconnue
Les historiens qui se penchent sur l’origine du carnaval se cognent à un mur. D’une part, la fête apparaît au Moyen Age, liée au cycle de Pâques. Il s’agit donc d’une création chrétienne. D’autre part, des rites étranges, sans nul doute païens, qui remontent à des religions préhistoriques, de loin ou de près lié au renouveau de l’année et à la remise à zéro des compteurs avant le retour à la normale.
Pour corser le tout, le carnaval est attesté dans de nombreux pays et il est impossible de trouver dans l’histoire une entité politique, linguistique ou ethnique qui corresponde à l’aire de diffusion du carnaval. Dernière difficulté, chaque région, quand ce n’est pas chaque village, a son propre cérémonial. Feux à caractère magique, brandons, déguisements, cortèges, inversion des hiérarchies, quêtes, agressions rituelles de jeunes filles par les jeunes hommes, sacrifices…
Au final, l’historien suppose que de nombreux rites préhistoriques d’origine et de nature différents se sont agglutinés à la période du carnaval sans pouvoir, déterminer ni comment, ni pourquoi. Passage en revue de coutumes archaïques qui pourraient être à l’origine de pratiques carnavalesques.
Les déguisement constituent l’un des rites récurrents du carnaval. Dans l’Antiquité romaine, on se déguisait au premier janvier. Les Romains s’affublaient de masques de dieux, tandis que chez les peuples celtiques, un homme déguisé en cerf menait cortège de jeunes hommes affublés de peaux d’agnelles et de vaches ou déguisés en femmes. Ils allaient de maisons en maison, en chantant des chansons paillardes. Il s’agissait d’un rite de fertilité destiné à assurer l’abondance des récoltes pour l’année à venir. Les juifs connaissent aussi des déguisements depuis longtemps. Dans le mois qui précède la Pâque, à la fête de Pourim, ils célèbrent Esther qui sauva la communauté exilée à Babylone. L’occasion de faire la fête et de se travestir ou de mettre des masques.
Un rite de la Rome antique évoque lointainement la coutume de « taquiner les filles » pendant le carnaval. Lors des lupercales, le 5 février, des jeunes nobles presque nus courraient dans les rues de Rome et fouettaient les jeunes femmes avec des lanières faites en peau de bouc. Les femmes ne se dérobaient pas, car un coup de fouet assurait la fertilité.
Avant la conquête romaine, les Celtes allumaient des feux à deux dates fixes, qui correspondent au 1er novembre et au 1er mai. Au Moyen-Age, des feux rituels existent à divers périodes de l’année, selon les régions, souvent au carnaval ou pendant la nuit de la Saint-Jean. Les jeunes mariés sautent par-dessus pour obtenir un enfant dans l’année; ailleurs on fait passer les troupeaux sur les cendres chaudes pour écarter les épizooties.
L’usage de torches ou de brandons n’est pas attestée avant l’apparition du carnaval, mais le rite paraît d’origine agraire et magique, donc ancien: dans les premières attestations, les jeunes gens se promènent autour des vergers afin que les arbres fruitiers soient protégés des maladies et de la vermine.
Le carnaval est aussi la fête du retournement, le moment où l’on se moque des puissants, des riches et gens établis. De telles fêtes existent presque partout et depuis toujours. Ainsi, à leur nouvel an, les Babyloniens insultaient leur roi. Du 17 au 19 décembre, les Romains célébraient les Saturnales, où les esclaves remplaçaient les maîtres.
On pourrait multiplier des exemples démontrant que de nombreux rites antiques ressemblent à des usages carnavalesques. Mais les historiens ne savent pas s’il s’agit de filiations, de coïncidences ou d’origines communes. Frustrant…
LE CARÈME. L’ADIEU A LA CHAIR
Le carême rappelle les 40 jours passés dans le désert par Jésus Christ. Sa pratique a survécu aux critiques Longtemps mal vécu, le carême naquit au début du Moyen Âge
Dans l’Europe du 13ème au 17ème siècle, des sources évoquent le combat de Carnaval et de Carême, la haine qu’ils se vouent: dans des pièces burlesques, les oignons, les pois, l’huile, les poissons et le lait d’amande affrontent le gibier, les oiseaux, les œufs, les fromages, la graisse, les bêtes de boucheries. La plupart des auteurs donnent leur sympathie à Carnaval, mais il doit perdre, être jugé, souvent mourir; Carême ne peut jamais perdre entièrement; le temps de Carême ne devait pas être contesté ouvertement.
Cette haine du carême surprend aujourd’hui. Dans sa pratique actuelle, le carême est une période de retour sur soi, de regret de ses fautes, de honte active face à la misère d’autrui, d’abstinence volontaire. Il n’est plus l’interruption obligée de la vie ordinaire, l’obligation de renoncer aux plaisirs du corps, accompagnée de restrictions légales du commerce alimentaire, pour passer du gras au maigre. Le carême a été haï, par les pauvres car l’alimentation maigre était plus chère que la grasse et par les Réformés qui n’y voyaient qu’hypocrisie. De cette haine, il ne reste rien. Et le carnaval ne tire plus sa force de l’adieu à la viande. De même, les actions de carême séduisent aujourd’hui les protestants.
Dans le mot « carême », en latin « quadragesima », il y a quarante: les quarante jours passés par le Christ dans le désert. La période de recueillement spirituel de ce nom est attestée dès le 4ème siècle et se combina alors avec le jeûne respecté la semaine précédant Pâques.
A Rome, dès le 5ème siècle, on respecte six semaines de jeûne avant la semaine de Pâques; mais, comme il n’était pas question de jeûner le dimanche, fête du Seigneur, ce carême n’était pas fidèle à son modèle biblique. Les jours effectifs de jeûne étaient au nombre de 36 et non de 40. Cela parut choquant et on rajouta quatre jours, ce qui fit commencer le carême un mercredi, le fameux Mercredi des Cendres. Le « vrai » carême est attesté pour la première fois dans la liturgie romaine vers 700 et, de là, se répandit dans tout l’Occident, surtout durant l’Empire carolingien.
Longtemps, le carême ressembla à un jeûne, c’est à dire qu’aux interdits alimentaires s’ajoutait la défense de manger de jour. C’est seulement entre le 11ème et le 13ème siècle que l’heure de l’unique repas consenti, fixée d’abord aux vêpres, fut ramenée au milieu de l’après-midi, puis à midi. Une fois l’heure de ce repas avancée, il fallut admettre un second repas en soirée, une collation, faite d’abord de liquides, puis de nourritures légères.
Parmi les tolérances, le poisson fut admis dès le début du Moyen Age et le vin aussi. La viande resta proscrite et même les œufs et les laitages. Dès le 14ème siècle, les laitages sont peu à peu tolérés, notamment dans les régions de montagnes où l’élevage fournit l’essentiel de la nourriture et les seuls corps gras. Ainsi, le 16 juillet 1462, le cardinal en charge de la pénitencerie apostolique examine une supplique des habitants du Pays-d’Enhaut. En bon Romain, il plaint ces montagnards de ne pas pouvoir produire d’huile d’olive! « Ils habitent des contrées stériles et couvertes de forêts, dans lesquelles on ne peut produire ni huile d’olive, ni vin, ni froment et ils ne peuvent que difficilement et coûteusement se procurer de l’huile; voilà pourquoi ils pourront utiliser, pendant le Carême et les autres jours de jeûne, comme substitut, du beurre et des produits laitiers ».
Les montagnards sans huile ne sont pas les seuls favorisés; la Tour du Beurre de la cathédrale de Rouen, construite de 1485 à 1507, porte ce nom parce que construite avec l’argent des dispenses de beurre. Mais les dispenses montrent que l’interdit devait être en principe respecté, comme on le voit aussi dans cette invective de Luther: « Le petit peuple considère qu’en mangeant du beurre on pêche plus gravement qu’en mentant, en jurant ou en se débauchant ». Quand les Réformés s’en prennent au carême, pour des raisons doctrinales, ils relaient les efforts de ce que nous appellerions aujourd’hui la société civile pour démanteler le jeûne. Carême n’est en effet pas seul de son espèce. Au total, plus d’un jour sur trois était maigre; en additionnant carême, veilles des fêtes, vendredis et Quatre-Temps, on arrivait à 120 jours par an. Dans bien des villes à la fin du Moyen Age, les boucheries n’ouvrent sans problème que le lundi, le mardi et le jeudi; le mercredi est un ancien jour de jeûne, le vendredi l’est resté, le samedi est veille de dimanche et le dimanche, sans être jour de jeûne, est parfois respecté comme jour de paix. L’un des secrets de la force du carnaval et de la haine du carême s’explique par cette comptabilité. Lorsqu’on évoque le Pays de Cocagne, c’est « un pays où il y a carême tous les 20 ans.
L’ASCENSION. DE LA THEOLOGIE AU PONT
L’Ascension constitue pour nous, avant tout, un prétexte à congé, un « pont ». C’est compréhensible: l’Ascension est un événement capital pour les théologiens, mais n’a jamais été une grande fête populaire, sauf peut-être en Italie. Une des rares fêtes chômées qui ait survécu aux suppressions des 18ème et 19ème siècles; les Etats l’ont maintenue fériée par respect pour son importance théologique: avec l’Ascension du Christ, Dieu incarné, c’est l’humanité qui se voit ouvrir le ciel. Il semble que la célébration de l’Ascension remonte seulement à la fin du 4ème siècle. Les plus anciennes prédications et les plus anciennes images de l’Ascension que nous conservions sont de cette époque. Il en va de même des premières mentions dans la liturgie, notamment ce manuscrit arménien: « Pour la sainte ascension de notre seigneur Jésus Christ dans les cieux, le quarantième jour après Pâques, on monte au Monts des Oliviers et on s’assemble à la Sainte-Colline ». A Jérusalem, on fêtait l’Ascension sur le lieu même où l’on croyait qu’elle s’était produite; une basilique y fut construite vers 370.
Pourquoi une célébration aussi tardive? L’Ascension, placée quarante jours après Pâques, n’appartient pas aux Evangiles. Les quatre évangélistes sont discrets sur ce qui suivit la résurrection du Christ: ils mentionnent ses réapparitions à ses disciples, mais les placent immédiatement après la résurrection. Pour saint Luc, il s’agit même du dimanche de Pâques. L’Ascension a lieu aussitôt, sur une colline entre Jérusalem et Béthanie, où Jésus a rassemblé ses disciples, et elle n’est rapportée que par deux des évangélistes et sans détails: « Il fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu », chez saint Marc. Luc est à peine plus détaillé: « Levant les mains, il les bénit; pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut élevé au ciel ».
Ce sont les Actes des Apôtres qui pour la première fois distinguent nettement l’Ascension de la Résurrection en fixant à quarante les jours qui les séparent: « Il leur apparut vivant après sa Passion; il leur en avait donné plusieurs fois la preuve, durant quarante jours en se montrant à eux et en les entretenant du royaume de Dieu ». Les Actes font de cette ascension un événement que les disciples purent suivre des yeux: « Il fut élevé pendant qu’ils le regardaient et une nuée le déroba à leurs yeux. Alors que Jésus s’en allait et qu’ils avaient les regards dirigés vers le ciel… »
Pourquoi avoir placé ces quarante jours -chiffre habituel des périodes clés dans la Bible- entre la Résurrection et l’Ascension?
Avant tout pour rendre la Résurrection manifeste; quarante jours, où se multipliaient les apparitions et les démentis apportés aux disciples qui doutaient, servent indirectement de preuve que la Résurrection a bien eu lieu, comme le dit saint Léon, pape du milieu du 5ème siècle: « Le nombre de quarante jours a été disposé par un arrangement très saint, au profit de notre instruction. Le Seigneur, en prolongeant jusqu’à ce moment le délai de sa présence corporelle voulait affermir la foi en la Résurrection par des témoignages authentiques ». Le pape ajoute que les disciples ont eu le temps de douter et d’être convaincus pour que les fidèles, eux, n’aient pas à douter.
Ainsi, l’Ascension ne s’est pas détachée immédiatement de la Résurrection et semble avoir tardé à exister comme fête distincte. Si le 4ème siècle, époque de la christianisation officielle de l’Empire, y attache pour la première fois une importance majeure, c’est peut-être pour souligner que le Christ aussi a eu une apothéose, comme certaines divinités païennes, ou un voyage à travers les cieux, ressemblant aux expériences initiatiques. Quoi qu’il en soit, les évocations antiques du voyage de l’âme à travers les cieux vont être reprises pour le Christ. On s’imaginait le ciel comme une succession de sphères, gouvernées chacune par une planète et tournant autour de la Terre; on pensait d’ordinaire qu’il y en avait sept et c’est de là que vient notre expression « se croire au septième ciel » pour dire se sentir au comble de la joie. Cette succession de ciels apparaît déjà dans le Nouveau Testament, notamment quand saint Paul parle de son aventure sur le chemin de Damas en disant qu’ »il fut enlevé jusqu’au troisième ciel ».
C’est en s’appuyant sur cette représentation des cieux que les théologiens scolastiques s’efforcent de reconstituer l’ascension du Christ, comme le montre Jacques de Voragine, l’auteur de la Légende dorée au 13ème siècle: « Il monta avec une extraordinaire vitesse, puisqu’il parcourut un si grand espace en un moment. Le rabbin Moïse, très grand philosophe, avance que chaque cercle, ou chaque ciel, de quelque planète que ce soit, a de profondeur un chemin de 500 ans, c’est-à-dire que l’espace en est si étendu qu’un homme mettrait 500 ans à le parcourir sur un chemin uni. La distance d’un ciel à un autre est la même, dit-il, qu’un chemin de 500 ans et, comme il y a sept cieux… »
A cette époque, l’Occident médiéval est fasciné par les ascensions, qu’elles soient chrétiennes, païennes ou musulmanes. Un philosophe païen de la fin de l’Antiquité, Macrobe, avait écrit un traité mystique sur le Songe de Scipion, un texte de Cicéron où Scipion racontait son voyage, en rêve, à travers les cieux, qui lui fait saisir l’harmonie du monde. Ce traité est copié frénétiquement au 12ème-13ème siècle, au point que c’est une des œuvres antiques dont on possède le plus de manuscrits.
Troisième partie de la Comédie de Dante (mort en 1321), le Paradis commence par le voyage du poète à travers les cieux. Cinquante ans plus tôt, l’Echelle de Mahomet est la première évocation pleine de respect pour Mahomet, jusqu’alors injurié dans les textes chrétiens. C’est une traduction française d’un texte latin lui-même traduit de l’espagnol… Le roi de Castille Alphonse X avait voulu lire l’histoire du voyage de Mahomet à travers les cieux et l’avait faite traduire de l’arabe en espagnol: « Après que moi, Mahomet, ai fait mes oraisons au temple avec les prophètes qui y étaient, Gabriel me prit par la main et m’amena hors du temple et il me montra une échelle qui allait du premier ciel jusqu’à la terre où j’étais. Et elle était la plus belle chose qu’on ait jamais vue… Les degrés de l’échelle étaient faits ainsi: le premier était de rubis, le second d’émeraude, le troisième de perle blanche et chacun des autres de pierres précieuses… Gabriel me prit par la main, me souleva et me mit sur le premier degré de l’échelle et me dit: Monte, Mahomet! ».
Dans l’Italie de la Renaissance, pour signifier que quelqu’un était en grand danger, on disait que « même l’œuf de l’Ascension ne le sauverait pas ». Dans l’imagination populaire du sud de l’Europe, l’Ascension était un jour protecteur et purifiant. On conservait comme talisman un œuf pondu ce jour-là, qui devait éloigner de la maison les insectes, les maladies et le mauvais sort.
De même, ce jour-là, l’eau de la mer était douce et secourable: on y menait baigner les animaux pour assurer leur santé. Ces grands déplacements de bétails apparaissent encore en 1922 chez le poète italien Borgese: « Alors je me rappelai que c’était vraiment jour de vacances, l’Ascension, quand, en l’honneur des vieux dieux et du nouveau dieu, les troupeaux abordent mon village dans un piétinement précipité ».
On doit certainement à cette tradition la fête la plus spectaculaire de l’ancienne Venise, les épousailles de la mer. Le jour de l’Ascension, le doge se rendait en procession sur la place St-Marc et montait sur sa galère d’apparat, le Bucentaure. Elle se rendait en mer, au-delà du Lido et, là, le doge lançait un anneau d’or dans les flots et criait « Nous t’épousons, ô mer, en signe de domination juste et perpétuelle ». L’existence même de Venise dépendait de sa maîtrise de la mer: contrôle hydraulique pour assurer la sauvegarde de la ville, contrôle politique pour assurer sa domination sur la Méditerranée orientale. On choisit pour marquer ce lien capital le jour où l’eau était pure et favorable.
Le pont de l’Ascension
L’expression « pont de l’Ascension » est récente ; c’est dans la seconde moitié du 19ème siècle qu’on se mit à dire « faire le pont » pour signifier « prendre congé entre deux jours fériés ». Ce n’est pas une expression du monde ouvrier -les ouvriers n’étaient pas maîtres de leurs horaires- mais des administrations et des « cols blancs » ; un dictionnaire de la fin du 19ème siècle précise d’ailleurs « en parlant des employés ». Le phénomène gagne en ampleur au 20ème siècle, avec la multiplication des jours fériés et des salariés aptes à négocier leurs congés: on connaît la phrase maussade de Duhamel « Les ponts se multiplient, non sur nos rivières, mais sur les jours ouvrables ». Il y a un peu plus d’un demi-siècle qu’on appelle les ponts du nom de la fête qui les suscite: pont de l’Ascension ou de la Toussaint.
LA PENTECÔTE. LA FÊTE DE L’ESPRIT SAINT
La Pentecôte fête le don du Saint-Esprit aux disciples du Christ, comme en témoigne les « Actes des Apôtres »: « Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme celui d’un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent touts remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer ».
C’est en même temps la première manifestation publique de la nouvelle Eglise chrétienne: « Or, à Jérusalem, résidaient des juifs pieux venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. A la rumeur qui se répandit, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue ». Cette grande surprise suscita la première vague de conversion.
Comme il y a le chiffre grec 50 dans le mot Pentecôte et que la Pentecôte se fête cinquante jours après Pâques, pas difficile de conclure que les disciples ont reçu le Saint-Esprit cinquante jours après la résurrection et que c’est là aussi bien l’origine du mot que celle de la fête. Et pourtant, ce n’est pas si simple.
Pentecôte, comme Pâques, est l’une des fêtes juives que les Chrétiens ont conservées en les modifiant et le mot lui-même remonte au grec des Juifs hellénisés. La Pentecôte juive, c’est une fête qui intervient 50 jours après la Pâque, fête agraire concluant le temps des moissons en Palestine, mais reliée à la commémoration de la traversée du désert et de l’entrée dans la terre promise. C’était une fête très attendue et bien des Juifs se rendaient alors à Jérusalem, comme en témoigne le récit des « Actes des Apôtres »: si le parler en langue des disciples a tant frappé la foule, c’est que des pèlerins juifs de toutes régions et donc de toutes langues se trouvaient là. Les premiers chrétiens ne reprirent pas la fête même de la Pentecôte; ils gardèrent le nom et l’employèrent pour désigner toute la période de cinquante jours depuis Pâques et non pas particulièrement le cinquantième jour. Il s’agissait d’une période de joie, le « très heureux espace », qu’on appelait aussi le « grand dimanche ». Pendant tout ce temps, on célébrait la résurrection du Christ et l’association des humains avec lui: symboliquement, durant ces 50 jours, on ne priait pas à genoux, mais debout. De même, les pénitences imposées par les règles monastiques étaient interrompues et les fidèles ne jeûnaient pas. Au bout de 50 jours, le retour à la vie normale était marqué par la cérémonie dite de la génuflexion: redevenus pécheurs ordinaires, les fidèles retrouvaient l’obligation de prier humblement.
C’est au 4ème siècle seulement qu’apparaît la fête chrétienne de la Pentecôte, centrée sur le dimanche, cinquantième jour après la résurrection. Il en va de la Pentecôte comme de l’Ascension: durant ce siècle, les pèlerinages à Jérusalem se développèrent et l’on construisit des lieux saints aux endroits décisifs pour la vie du Christ; ce désir des fidèles de suivre le Christ pas à pas conduisit à créer une année liturgique où étaient bien marqués les jours clés de sa vie.
Dès lors, la fête précise de Pentecôte fit oublier la sainte cinquantaine. Elle en conserva toutefois l’esprit de joie. On est frappé du caractère presque folâtre de la liturgie de Pentecôte dans bien des églises médiévales. A Rouen, par exemple « lorsque on commence à chanter le Veni creator, les serviteurs du trésorier qui se trouvent dans la tour du transept jettent en contre-bas et dans le cœur des feuilles de chêne, des biscuits et de l’étoupe enflammée, tout cela en grande quantité. Au moment de chanter le Gloria in excelsis, ils font voler vers le cœur des petits oiseaux avec des biscuits liés à leurs pattes, en bon nombre, et ils continuent jusqu’à la messe.
Ils font tout cela aux frais du trésorier et du chapitre » « La joyeuse Pentecôte », disent les poètes du Moyen Age. La Pentecôte a longtemps été une longue fête. Réduite aujourd’hui au dimanche et au lundi, elle durait toute la semaine au Moyen Age. C’était une fête de la joie, comme Pâques, mais d’une joie un peu plus profane. On fêtait non seulement la naissance de l’Eglise, mais aussi le retour à la vie normale, après le cycle pascal: au Moyen Age, bien des corporations de métiers et des confréries plaçaient leur banquet le lundi de Pentecôte; quant aux princes, ils choisissaient la semaine de Pentecôte pour leurs grandes fêtes et leurs tournois; dans les romans de la Table Ronde, le roi Arthur réunit ses chevaliers à Pentecôte pour une fête ou un tournoi. A cette occasion, on habille de neuf ses serviteurs, on adoube les chevaliers. C’était au point qu’on se mit à dire « une pentecôte » pour dire une grande fête noble, comme le montre ce fabliau « avant hier, je me rendis à une pentecôte à la cour dans un riche palais ».
Traditionnellement, nous déplorons la dérive mercantile de Noël; les achats de Noël masqueraient le sens réel de cette fête, etc. Pentecôte est redevenue une fête sage, mais a été le Noël du Moyen Age. Aux yeux des moralistes d’alors, les fêtes qu’on y organisait et leurs coûts devaient sans doute masquer là aussi la vraie signification de la journée. Chrétien de Troyes, le romancier de la Table Ronde, fait rimer « pantecoste (Pentecôte) » et « tant coste (beaucoup coûter) »! Son roman d’Yvain, le chevalier au lion, commence en effet ainsi: « Arthur, le valeureux roi de Bretagne… tint une cour si riche comme roi à cette fête qui coûte tant qu’on doit l’appeler la Pentecôte », rime qui deviendra proverbiale. Quatre siècles après Chrétien de Troyes, Rabelais fait dire encore à un ami de son Pantagruel: « La Pentecôte ne vient jamais sans me coûter ».
Rose ou pivoine
Le folklore de Pentecôte tourne autour de l’eau, du bétail et des fleurs, sans doute parce que la fête a le plus souvent lieu au mois de mai, mois de l’éveil de la nature. On baptisait volontiers à Pentecôte, on buvait de l’eau bénite ou l’eau de certaines sources sacrées. La Pentecôte est une fête fleurie, que ce soit dans la liturgie ou dans les processions. L’exemple le plus curieux, c’est la pivoine, qui, en allemand, se dit « Pfingstrose », la rose de Pentecôte, liant ainsi à la fête les vertus médicinales traditionnelles de cette plante. Si l’on en croit Hildegarde de Bingen, qui écrivait au 12ème siècle, la pivoine calme les fièvres physiques et mentales, sert aussi de dépuratif et permet même de se débarrasser des teignes. Sa valeur de médicament calmant est déjà attestée par Pline, le naturaliste romain, qui prétend qu’elle protège des « taquineries des Faunes pendant le sommeil »; Albert le Grand, au 13ème siècle, prétendra qu’elle protège de la possession nocturne par les démons. Mais pourquoi appeler « rose de Pentecôte » une fleur calmante? La rose est traditionnellement liée à cette fête, au point qu’un synonyme médiéval de Pentecôte, dans les pays du Midi, c’est la « Pâques rose ». On décorait les églises de roses et on rendait même les langues de feu du Saint-Esprit par des pluies de pétales de rose. Faut-il imaginer qu’en Allemagne les pivoines remplaçaient les roses ou que l’on avait peur que les esprits s’égarent ce jour-là?
La Pentecôte marquait aussi le début des pâtures; le matin de ce dimanche, les hommes du village allaient faire le tour des terres communes pour les inspecter et les délimiter. La Pentecôte est sans doute pour cela la fête des bouviers et des palefreniers. « Propre comme le bœuf de la Pentecôte » dit-on en allemand, parce qu’on promenait souvent un bœuf, propre et paré, dans les rues, ce jour-là, avant de le bouchoyer. L’usage se retrouve en France et il est lié aux banquets que les confréries organisaient le lundi de Pentecôte
Les pentecôtistes
Si les disciples frappèrent tellement l’attention des pèlerins juifs venus à Jérusalem pour la Pentecôte, c’est qu’ils avaient reçu le don des langues. Manifestation spectaculaire que les prédicateurs opposèrent volontiers à la Tour de Babel. L’orgueil des bâtisseurs avait été puni par la disparition de leur langage unique au profit de nombreuses langues qui rendaient toute entente impossible. Avec ce don, la punition était effacée et comme le dit la liturgie romaine de la fin de l’Antiquité: « La diversité des voix n’empêche plus la construction de l’Eglise ».
Ce don des langues n’est pas seulement le symbole de la mission universelle de l’Eglise; il reste pour beaucoup de croyants l’espoir d’une manifestation du Saint-Esprit chez un individu ou un groupe. C’est pourquoi tant de mouvements charismatiques se disent ou sont dits pentecôtistes. Le pentecôtisme est d’abord protestant, même s’il en existe maintenant des formes catholiques.
Il est né aux Etats-Unis, dans le Kansas plus précisément, le 1er janvier 1901, au sein d’une communauté baptiste; le don de langues se manifesta en effet dans un groupe de prédicants en formation, dirigé par le révérend Parham, tout d’abord chez une étudiante nommée Agnès Ozman.
Le groupe vécut discrètement dans cette idée jusqu’en 1906, où des manifestations spectaculaires de ce don chez un élève de Parham, Seymour, lors d’une prédication à Los Angelès, eurent un retentissement mondial. Depuis, les mouvements pentecôtistes n’ont fait que croître dans le monde. Agnès Ozman et Seymour étaient fait pour montrer que l’esprit souffle où il veut, puisqu’il s’agissait d’une femme et d’un noir, chacun aux antipodes de l’ecclésiastique classique. On rejoint ici une longue tradition où coexistent hérésies et renouveaux spirituels.
De tout temps, la puissance du Saint-Esprit a fasciné ceux qui se défiaient de la rigueur dogmatique et de l’autorité institutionnelle de l’Eglise. En renouant avec les pratiques des premiers disciples, en privilégiant l’expérience religieuse plutôt que la doctrine, en espérant la manifestation du Saint-Esprit en eux-mêmes, les pentecôtistes sont peut-être en train de faire de la Pentecôte celle des fêtes chrétiennes qui gagne en importance.
LA RÉFORMATION .UNE FÊTE PLUS QUE DISCRÈTE
Wittenberg est, au début du 16ème siècle, une petite ville universitaire de Saxe où enseigne un moine augustin du nom de Martin Luther. Le 31 octobre 1517, il affiche, à la porte d’une église dit-on, 95 « thèses » (des prises de position), contestant avant tout le pouvoir pontifical: le pape ne peut faire grâce de ses péchés à un chrétien vivant ou mort. La taxe que l’Eglise percevait à cette occasion faisait penser qu’elle vendait le salut et que le fidèle l’achetait; c’est ce qu’on appelle le trafic des indulgences. Ce geste de rupture avec Rome, dans ce contexte, est retenu comme l’acte fondateur de la Réforme. Il s’agit en tout cas d’un geste qui eut un très large écho, puisque Luther avait fait imprimer son texte et le diffusa dès ce 31 octobre. Appelé parfois « Jour de la Réformation », le 31 octobre n’est pas, actuellement, une fête, mais en a suscité une « le Dimanche de la Réformation ». Selon les régions, on le fixe au premier dimanche avant ou après le 31 octobre, voire, comme dans le canton de Vaud, au premier dimanche de novembre. Fête des Eglises protestantes, notée dans les calendriers des régions à forte présence réformée, le Dimanche de la Réformation brille par sa discrétion. Rien ne le marque à l’extérieur des églises et bien peu de chose à l’intérieur. Souvent, le paroissien ne s’en apercevra qu’au moment de la collecte dont l’affectation est spéciale et chaque année la même: une quête pour les « protestants disséminés ». C’est bien la fête de tous les protestants et elle doit profiter à ceux qui ont le plus d’efforts à faire pour maintenir leur appartenance à cette communauté.
Les Eglises protestantes de Suisse romande laissent leurs pasteurs libres de consacrer ou non leur culte à cette célébration. L’Eglise vaudoise, qui range cette fête à l’enseigne un peu grise des « dimanche spéciaux », leur propose une prière évoquant « ce temps où nous nous souvenons plus particulièrement de l’œuvre des Réformateurs » et quelques versets bibliques comme occasion de sermon, notamment autour de « Abram eut foi dans le Seigneur et pour cela le Seigneur le considéra comme juste (Genèse 15: 6) » ou de « Si Abraham a été justifié par les œuvres, il a lieu de se glorifier; mais devant Dieu, il n’en est pas ainsi (Romains 4: 2) ». Ces versets permettent d’aborder l’essentiel du message protestant: ne pas faire passer la loi ou les œuvres avant la foi; ne pas chercher à « faire » son salut, mais accueillir Dieu dans la confiance et l’obéissance. Rien, en fait, qui soit propre à ce dimanche plutôt qu’à un autre, même si le lien avec le refus des indulgences est facile à établir.
Au fond, la fête n’en est pas une, mais cette froideur n’est pas un signe du déclin de la pratique religieuse. Il ne faut pas imaginer de grandes liturgies, des repas ou des cortèges d’autrefois, peu à peu délaissés. Dans nos régions, le Dimanche de la Réformation n’a pas de passé. L’Eglise vaudoise l’a introduit dans sa liturgie en 1884; à Genève, il semblerait que quelque chose existe dans la liturgie depuis 1861, mais à bien plaire, puisque, le dimanche 2 novembre 1873, Amiel note dans son célèbre Journal: « Fête de la Réformation, première année ». Cette très brève remarque est encadrée par « Jour des morts » et par « Manqué le culte, malgré moi », notations mélancoliques qui paraissent presque annoncer le peu de succès de la nouvelle fête. Elle n’a donc, dans nos régions, qu’un peu plus d’un siècle. On l’a importée d’Allemagne, où les Luthériens la célébraient depuis longtemps avec plus de faste et d’élan.
Pourquoi cet emprunt? Sans doute par une sorte d’ »œcuménisme » à l’intérieur même des Eglises réformées: se reconnaître toutes comme issues du geste de Luther, par-dessus les divisions historiques entre Luthériens, Zwingliens, Calvinistes et autres; et surtout faire face à l’esprit de reconquête qui animait l’Eglise catholique du milieu du 19ème siècle et qui inquiétait les protestants romands: depuis la Révolution, les cantons protestants étaient obligés de tolérer la présence des catholiques et la fondation de paroisses. Au moment où, avec Pie IX, l’emprise du pape sur l’Eglise catholique devenait plus forte qu’elle ne l’avait été depuis au moins deux siècles, les protestants purent trouver opportun de signifier qu’ils étaient nés d’un « non » lancé à un pape.
Quoi qu’il en soit, c’est par une lettre-circulaire du 10 avril 1866 que la Société de l’Histoire du Protestantisme, basée à Paris, recommanda aux pasteurs français la reprise de la fête luthérienne. L’idée semble donc s’être imposée dans les mêmes années en France et en Suisse romande: entre 1860 et 1890.
D’abord en Allemagne
Sans passé et presque sans vie dans nos pays protestants, le Jour de la Réformation et son Dimanche ont une histoire beaucoup plus riche dans les pays luthériens, inspirant par exemple les musiciens. La cantate de Bach BWV 80 a été jouée à Leipzig le 31 octobre 1724 et reprend le « C’est un rempart que notre Dieu » de Luther. Il en va de même de la « Symphonie de la Réformation », œuvre de Mendelssohn.
D’emblée, les Réformés avaient vu dans leur Réforme un événement exceptionnel, marquant la foi plus qu’aucun autre depuis l’époque des Apôtres. Au 16ème siècle déjà, on se soucia de célébrations liturgiques annuelles. Mais que choisir comme date, autrement dit quel événement retenir comme digne d’être commémoré? On hésita entre la vie de Luther et des événements religieux. Certaines villes commémorèrent l’adoption locale de la Réforme, d’autres choisirent la date du baptême de Luther ou celle de sa mort ; c’était le traiter un peu comme un saint, mais ça ne choquait pas vraiment, tellement on le considérait comme l’instrument de Dieu, au point de parler couramment du « Bienheureux Luther ». Enfin, plusieurs villes, dont Hambourg est la plus importante, choisirent la Toussaint, comme si cette fête qui comptait parmi les plus importantes de l’ancienne foi devait être remplacée plutôt que supprimée.
Au 16ème siècle, il n’est jamais question, semble-t-il, de commémorer les thèses de Wittenberg, ni de chercher un autre événement commun à l’histoire des réformés allemands, du moins pour une célébration annuelle. En effet, la Confession d’Augsbourg, de 1530, est rappelée en 1580 lors de son cinquantenaire et sera largement célébrée en 1630, lors de son premier centenaire.
C’est également un centenaire qui va attirer l’attention sur le 31 octobre. Au début de 1617, le prince palatin Frédéric, qui régnait sur Heidelberg et avait pris la tête d’une union des Etats réformés d’Allemagne, lança l’idée de fêter le centenaire du geste de Luther par une fête commune. Une intense consultation des villes, des princes et des universités permit de préciser la date et la forme que prendrait la manifestation.
La fête avait un double but évident: rappeler la « révolte » de Luther contre le pape et manifester l’unité des réformés d’Allemagne. On était à la veille prévisible d’un grand affrontement avec l’Empire et les Etats catholiques d’Allemagne et il s’agissait de galvaniser et d’unir les forces protestantes. Les deux camps, d’ailleurs, se mobilisaient moralement. Annoncé le 23 avril 1617, le jubilé des protestants fut en effet « doublé » le 12 juin par la proclamation d’un jubilé catholique, une année sainte extraordinaire ordonnée par le pape Paul V pour l’unité de l’Eglise et sa défense contre les agressions de ses ennemis! Il s’agissait moins de contrer l’initiative protestante que de renforcer l’unité des catholiques avant le conflit qui s’annonçait et qui allait être la terrible Guerre de Trente ans.
Dans toute l’Allemagne luthérienne, on fêta donc le jubilé le 31 octobre 1617 et les jours suivants, en privilégiant le dimanche 2 novembre ; la coexistence du Jour et du Dimanche de la Réformation remonte donc aux origines mêmes de la célébration. Le dimanche du Jubilé tomba en 1617 sur le 2 novembre, qui était l’ancien jour des morts, ce qui rappelle le choix de certaines Eglises réformées, au 16ème siècle, de fêter l’anniversaire de la Réforme le jour de la Toussaint. Voilà qui explique peut-être le succès ultérieur de cette célébration au détriment des autres dates déjà utilisées le siècle précédent.
La fête, politique à l’origine, trouva son support littéraire dans les prédications, les discours et le théâtre. Plusieurs pièces furent jouées, notamment « La défaite du vendeur d’indulgences » et une pièce intitulée tout simplement « Luther », composée par le recteur de l’Université de Francfort. Spectacle immense -110 personnages-, elle campait Luther en héros et lança la vogue des spectacles historiques qui lui furent consacrés et qui contribuèrent à fixer l’attention sur les indulgences et le défi de Wittenberg.
Les fêtes de 1617 étaient un jubilé et non une célébration annuelle. Juste après, la Guerre de Trente ans allait ravager l’Allemagne et chasser le prince palatin de ses Etats ; la catastrophe était telle, malgré la relative victoire du camp protestant, qu’on chercha d’abord un événement pacifique à fêter: en 1655, un jubilé fêta le centenaire de la Paix d’Augsbourg, la grande paix interconfessionnelle mise au point par une diète impériale et qui avait assuré la stabilité en Allemagne jusqu’à la Guerre de Trente ans. Symbole moins pacifique, la publication des thèses de Wittenberg dut attendre quelques années: un « mini-jubilé » eut lieu pour son 150e anniversaire de 1667, en Saxe, à l’initiative du prince Jean-Georges II. Ce serait un événement insignifiant si, dans la foulée, la fête n’était pas devenue annuelle dans ses Etats dès 1668. Dès lors, la célébration annuelle de la fête se répand peu à peu en Allemagne, encouragée par le jubilé de 1717 et, surtout, par celui de 1817. Célébré peu après la victoire sur Napoléon et en pleine exaltation romantique des héros allemands, il entraîne le ralliement de l’Eglise prussienne à cette célébration. L’influence européenne de la Prusse et le fait que sa dynastie était calviniste et non pas luthérienne, joua sans doute un rôle dans l’extension de cette fête au monde protestant durant le 19ème siècle.
NOËL. UN FÊTE TARDIVE
Il faut attendre le règne de l’empereur Constantin (306-337 ap. J.-C.) pour voir apparaître la fête de Noël au 25 décembre. La date semble avoir été choisie pour concurrencer une fête païenne.
Car les premiers chrétiens assimilaient l’anniversaire de naissance à une pratique païenne. Dans le Nouveau Testament, un seul anniversaire est évoqué, celui d’Hérode Antipas et dans l’Ancien Testament, un autre, celui du pharaon persécuteur des Juifs. Deux personnes peu recommandables! Cette méfiance explique peut-être pourquoi ils n’ont pas jugés bon dans les premiers siècles de célébrer l’Incarnation.
Si les évangélistes sont précis sur le jour de la Résurrection, ils ne donnent d’ailleurs guère d’indications sur la date de la naissance du Christ.
Des historiens modernes ont tenté de pallier ce silence, mais leurs conclusions sont sujettes à caution. Selon eux, Jésus serait né entre mars et novembre. La Bible fait en effet allusion aux bergers et aux troupeaux qui se trouvaient à l’extérieur au moment de l’Incarnation. Or, un passage du Talmud remarque que les troupeaux en Palestine rentraient dans les étables de novembre à mars. Malheureusement, un autre passage du même Talmud mentionne des troupeaux qui passent toute l’année dehors… Second argument pour placer la Nativité à la belle saison: au moment de la naissance, Marie et Joseph se sont rendus à Bethléem pour le recensement ordonné par les autorités romaines. Selon les mêmes historiens, jamais les Romains n’auraient forcé les gens à se déplacer pour le recensement pendant la mauvaise saison. L’indice confirmerait que le Christ n’est pas né en hiver. Mais c’est là accorder une rare sollicitude aux autorités de l’Empire. Facile de retourner l’argument: les autorités romaines pouvaient tout aussi bien craindre d’interrompre les travaux des champs à la belle saison et préférer l’hiver pour opérer le recensement… Bref, impossible de fixer l’anniversaire du Christ.
Avant que le 25 décembre ne s’impose, l’Orient fêtait au 6 janvier la naissance du Christ. Vers 150, un dénommé Basilide vivait à Alexandrie. Chrétien hérétique, il estimait que le Christ n’était pas le fils naturel de Dieu, mais avait été adopté au moment du baptême. Basilide fêtait le baptême au 6 janvier. C’est probablement en se basant sur un passage de l’Evangile de Luc que dans la foulée, on se mit à célébrer aussi la naissance. Car l’évangéliste déclare que Jésus a « environ 30 ans » au moment du baptême par Jean Baptise. De là à déduire que Jésus avait été baptisé le jour de son anniversaire… Le pas est en tout cas franchi en Orient au début du 4ème siècle où le 6 janvier est consacré à la Naissance et au baptême du Christ, de même qu’à l’adoration des mages.
Car tout en rejetant les thèses de Basilide, l’Orient a adopté cette date. Et de nombreux chrétiens continuent à célébrer Noël le 6 janvier: les Eglises de Jérusalem, de Russie, de Serbie et de Bulgarie. Il en est de même pour les chrétiens éthiopiens, coptes et indiens.Le choix de cette date n’est pas vraiment éclairci. En Egypte, les païens fêtaient ce jour-là le retour de la déesse Koré des enfers. Cette divinité d’origine grecque passait six mois de l’année sous terre et six mois à l’air libre, symbole du cycle des saisons. Il se peut que Basilide ait jugé qu’il fallait transposer la célébration païenne, le retour du soleil symbolisant le début de la mission du Christ sur terre. Ce même symbole préside au choix du 25 décembre. Il s’agissait à l’époque romaine du jour de l’équinoxe qui marquait le rallongement des jours et le retour du soleil. En 275, l’empereur païen Aurélien institua une fête solaire au 25 décembre. Elle connut un succès considérable dans tout l’Empire romain. Les chrétiens romains instituèrent la fête de la naissance du Christ le même jour. Un choix d’autant plus logique que plusieurs passages bibliques comparent le Christ au soleil qui apporte la lumière aux hommes.
Quelques historiens modernes estiment toutefois que la coïncidence entre Noël et la fête solaire tient du hasard. Selon eux, le choix du 25 décembre vient du goût des anciens pour les chiffres ronds. Pour des raisons symboliques, les Pères de l’Eglise estimait que le Christ était ressuscité un 25 mars, jour de l’équinoxe de printemps et date traditionnelle de la Création du monde. On aurait donc placé la naissance du Christ le 25 décembre pour donner à sa vie un nombre de mois complet. Plus tardivement, les chrétiens se mirent à fêter l’Annonciation et la conception du Christ au 25 mars, ce qui renforça encore la correspondance entre l’incarnation et le résurrection du Seigneur. Cette seconde hypothèse paraît moins vraisemblable. D’autant que dans les premiers sermons de Noël parvenus jusqu’à nous, les évêques insistent plutôt sur l’opposition entre la fête païenne et l’arrivée de la vraie lumière sur terre, celle du Christ. Quoi qu’il en soit, la fête de Noël au 25 décembre est attestée à Rome pour la première fois en 336. Elle se répandit peu à peu dans le monde chrétien, malgré des résistances en Orient, où l’on s’en tenait à la date du 6 janvier. Mais peu à peu cette seconde date ne fut plus que consacrée à la Fête des rois, tandis que les chrétiens renoncèrent souvent à fêter le baptême, une commémoration qui sentait trop l’hérésie.
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